philippedaney.
Bâtiment B
L'actuel paradoxe de notre société est que nous prônons la transversalité alors que les étiquettes nommant chaque chose sont indéchirables.
Un bureau est un bureau. Une lampe de bureau doit ressembler à une lampe de bureau ; un siège de salle de conférences à un siège de salle de conférences. Pourtant, il est toujours question d'un homme confronté à de multiples usages. Ce même homme n'est pas intrinsèquement différent, qu'il soit aux fourneaux, en comité d'entreprise ou en train de se battre avec la matière dans un atelier.
Et pourtant, nous devons scénariser les usages, les mettre en images pour leur donner une existence. Ou plutôt, se donner une existence au travers d'eux. La chair renvoie à une image de nous-même, bien sûr, mais avant tout elle entoure nos fonctions vitales, contient nos esprits. Une autre chair est nécessaire pour entourer un usage, lui donner une figure : sans objet à honorer, pas de religion.
Il faut donc scénariser chaque usage d'un lieu sans l'alourdir d'un sens convenu. Se mettre en état de travail n'est pas forcément s'attabler à un bureau. Le statut d'un directeur peut tenir à autre chose qu'à l'épaisseur de la moquette de son espace privé.
En perte de repères, nous inversons la logique des choses. En soi, une usine n'est pas faite pour produire des usages dédiés à l'humain. À elle d'adapter ses outils, sa production, aux besoins d'une société qui se transforme. À l'évidence, l'individu s'adapte beaucoup plus vite au changement que la société et ses constituantes industrielles, politiques, censées ouvrir la voie, accompagner son évolution.
Fort de ce constat, nous nous devions de travailler avec des industriels conscients de cette évolution nécessaire.
Avec Nicolas Visier, nous avons décidé de lister les usages du Bâtiment B. Charge à moi de développer les outils nécessaires à la mise en condition des usagers, sans jamais tomber dans le conditionnement.
Blandine Didry, ma complice, a tout de suite compris que je ne voulais que l'on dessine un meuble de plus. Le projet s'est fait.
Le VIA et l'Unifa, toujours sensibles à la démarche qui précède l'action, lorsqu'elle a pour objet l'expérimentation raisonnée, nous ont accompagnés dans l'analyse du projet et la rencontre avec les industriels motivés par l'expérimentation.
Il est rapidement apparu que le terme « design BBC » semblait particulièrement approprié à la démarche. Bien qu'il ne s'agisse ni de design, ni de bâtiment basse consommation.
Nous voulions exprimer que, si nous sommes sensibles à une enveloppe BBC (architecture), alors la philosophie déployée dans la conception de l'enveloppe ne prenait sens que si nous l'appliquions à l'aménagement intérieur du bâtiment : matériaux justifiés ; formes sans effets de mode ; fabricants de proximité ; usages modelés pour le bien-être et le bien circuler dans l'espace, avec pour certitude : l'espace est au service de l'homme, le meuble n'est pas en soi un meuble, mais la proposition d'un usage modelable par l'utilisateur.
Nous produisons une société de méfiance. Faite de lois pour certaines nécessaires, pour d'autres castatrices. Nous produisons des concepts propres à chacune de nos activités. Nous nous opposons donc, éternels beaux parleurs, sur le terrain de la spécialisation, oubliant de nous ouvrir aux autres disciplines. Alors que, sans doute, sur le terreau du faire mixant les compétences, se trouve l'analyse porteuse d'avenir. Ce projet est fait du croisement des convictions et des spécialités de chacun. La confiance a été le liant qui a rendu possible qu'entre nous, nous avons fait la paix sans jamais commencer la guerre. J'entends : agir en complémentarité, en respect, plutôt qu'en opposition.
- Philippe Daney pour le livre Bâtiment B
Plutôt que d'éclairer le bâtiment de l'extérieur (regardez comme je suis beau), nous préférons faire sortir la lumière, la vie, du bâtiment sur la rue. Le lieu d'exposition est visible quelque soit l'heure.
Les suspensions ayant pour objet d'éclairer le lieu de travail, le bâtiment de nuit, il a été nécessaire de développer une pièce dont on ne voit pas la source lumineuse.
Masquer la source, jouer sur l'apparent aléatoire, la perspective, les ombres portées, le rythme de l'espace. Fabrication : sedap
Les chaises sont au service de l'usager : particulièrement larges, à trois hauteurs différentes. Fabrication : Self Créations
Les prototypes à l'usine.
Le projet des trois chaises avec la gamme colorielle appliquée : trois valeurs de rouge.
La salle de conférence est au cœur du bâtiment. Nous la voulions chaude et vivante comme un foyer. Les trois valeurs de rouge des assises, le mélange des lumières blanc-chaud et blanc-froid du plafond, les différentes hauteurs d'assises participent à cet effet.
Canapés et fauteuils sont une alternative au bureau : la portabilité de l'informatique permet la mobilité. Il est ici possible de s'asseoir ou palabrer, consulter son portable, lire, déposer des documents. Fabrication : SOCA
L'ensemble des murs de la matériauthèque sont composés d'une trame métallique. Cette trame est coupée brutalement, aléatoirement, en fonction de la taille du mur. Fabrication : Metalobil
Les étagères indexent l'espace de travail, sont dessinées comme des meubles, de grosses commodes. Ces rangements recto/verso participent à la bulle intime de chacun. Fabrication : collectif de fabricants
Pas de signe ostentatoire : "Je suis un bureau" sinon le tiroir en métal rouge. Une surface horizontale laisse toute liberté à l'utilisateur. Fabrication : collectif de fabricants
La table de la salle de réunion joue de cette liberté donnée aux usagers : à eux d'ouvrir, de multiplier les plans horizontaux, pour travailler à deux, quatre ou en grand nombre. Fabrication : Metalobil
Les suspensions en peuplier ont été fabriquées avec la technique utilisée pour les boîtes de fromages. Fabrication : Bois Diffusion Édition : SCE
Cette microarchitecture comporte les parutions du mois, encadre l'espace des expositions temporaires. Il ne s'agit pas d'une bibliothèque puis d'une salle d'exposition temporaire, mais bien d'un tout cohérent. Fabrication : Metalobil
Il s'agit bien d'un meuble, affirmé par ses pieds démesurés.
Les montants verticaux sont exclusivement composés de bois de récupération.